À la fin du livre, Isabelle Darras Collombatraconte les coulisses des ateliers d’écriture qui ont eu lieu entre décembre 2024 et avril 2025 dans le journal d’écrivaine qu’elle a tenu au fil des semaines dont voici le début :
" Autrice de littérature jeunesse depuis presque
vingt ans, mon métier est d’écrire des histoires
pour les adolescents et, parfois, pour les enfants.
Mon travail m’amène aussi à les rencontrer
partout où ils se trouvent : dans les établissements scolaires, les bibliothèques, les centres sociaux.
Je partage avec eux mon expérience en tant qu’autrice, adulte, femme, mère, fille, sœur. Nous discutons, nous échangeons et je leur propose aussi, en accord avec leurs enseignant.e.s, d’écrire.
En tant qu’écrivaine, il me semble que ma
responsabilité est d’aider les plus jeunes à trouver
les mots pour leur permettre d’exprimer ce qu’ils ont
en eux, mais aussi pour les aider à prendre part à la
vie en société. Or, souvent, nous les adultes,
par facilité, par commodité, nous leur intimons
le silence parce que leur parole pourrait nous troubler,nous agacer,nous remettre en question, nous déranger peut-être même.
En plus, discuter avec eux prend du temps
et nous ne souhaitons pas aborder avec eux les sujets
que nous ne maîtrisons pas ou ceux que nous ne savons pas aborder avec eux.
Or, s’entraîner à parler, écrire, s’exprimer,
c’est apprendre à penser, à se connaître soi-
même et à exister avec les autres. Pour moi, plus
particulièrement, écrire, c’est ouvrir son monde
intérieur et prendre sa place dans la société. En
un mot, écrire, c’est grandir.
Kigali, mars 2024. En marge des Rencontres
Internationales du Livre francophone, je
rencontre Carole Chiaradia, professeure de fran-
çais à l’École francophone Saint-Exupéry de
Kigali. Elle m’invite à un échange avec ses élèves
de 4e autour des deux romans pour ados que j’ai
écrits pour évoquer le génocide des Tutsi et la
responsabilité de la France : Bienvenue à Goma et
La mémoire en blanc. Nous parlons aussi de mon
récit Après la pluie d’avril.
Cela fait seize ans que j’interviens régulière-
ment dans des établissements scolaires pour
parler de ces sujets. Pour la première fois, je
réponds aux questions de jeunes Rwandais.
Cette discussion a lieu peu de temps avant les
trentièmes commémorations et m’amène à réflé-
chir. Entre la France et le Rwanda, il y a une
histoire commune, une alliance pour le pire,
tissée d’indifférence et de préjugés, de mépris et
de violence, de déni et d’ignorance. De nouvelles
relations se nouent depuis peu entre gouverne-
ments, institutions, universités, chercheurs,
artistes des deux pays. Moi qui ai étudié les rela-
tions entre la France et l’Allemagne, je songe aux
initiatives qui ont éclos, dans un tout autre
contexte, entre les deux États voisins dans le
cadre de la réconciliation franco-allemande
après la Deuxième Guerre Mondiale. Les
échanges entre jeunes ont été au cœur de ce
rapprochement. On a non seulement réfléchi à
une nouvelle façon d’apprendre l’Histoire aux
jeunes générations, mais on leur a aussi donné
l’occasion de vivre des expériences sensibles et
humaines qui leur ont permis de mieux appré-
hender le passé et qui ont contribué à changer
leur mentalité. J’en ai moi-même bénéficié à
plusieurs reprises quand j’étais adolescente et
étudiante.
L’histoire commune entre la France et le
Rwanda pourrait-elle devenir le terreau pour de
nouveaux échanges, non seulement entre entre-
prises ou artistes, mais aussi entre citoyens,
notamment entre jeunes ? Plus précisément,
comment ces derniers peuvent-ils bâtir des rela-
tions fondées non sur la domination ou la
discrimination, mais sur la curiosité, l’intérêt
pour l’autre, le respect et la compréhension
mutuelle ?
Peu de temps après, je suis sollicitée par Sarah
Pépin, professeure de français au collège
Guillaume Cale de Nanteuil-le-Haudouin, gros
bourg rural à cinquante kilomètres de Paris. Elle
mène depuis quelques années, avec son collègue
d’histoire-géographie, un travail autour du génocide
des Tutsi du Rwanda avec ses élèves. Elle
me propose d’animer des ateliers d’écriture dans
l’une de ses classes.
Connaissant l’engagement de Carole et Sarah,
je leur propose mon idée : monter sur pied un
échange littéraire et une correspondance entre
deux de leurs classes. Il n’y aura pas de rencontre
physique (un projet que nous ne pensons pas
pouvoir boucler faute de moyens financiers),
mais un dialogue à travers l’écrit.
Elles sont aussitôt partantes et nous nous déci-
dons à concrétiser notre projet, baptisé
Kwandika, « écrire » en kinyarwanda, la langue des
Rwandais. Nous choisissons ensemble des
thèmes sur lesquels nous amènerons les collé-
giens de France et du Rwanda à réfléchir et à
s’exprimer. Ces thèmes s’inscrivent dans leur
programme scolaire de français et d’histoire-
géographie. Nous les rangeons dans quatre caté-
gories : parler de soi, regards croisés et préjugés,
savoir dire non, mémoire et paix."
Isabelle Darras Collombat
(La suite est à lire dans le livre)